Extrait du fascicule de 
Julien et Henri Slingart
Sous la Botte Allemande
3 octobre 1914 - 27 et 28 avril 1917
Février 1981, n° 2

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5 JANVIER 1915
DEUX "FEMMES" SONT ARRETEES AU PASSAGE A NIVEAU D 'EVI N-MALMAI SON
7 JANVIER 1915
DEUX OFFICIERS FRANCAIS SONT FUSILLES PAR LES ALLEMANDS A HENIN

Dans le premier fascicule de l'Histoire d'Hénin au cours de la 1ère Guerre Mondiale, nous avons publié le fac-similé d'une affiche annonçant la condamnation à mort, par le Conseil de Guerre Allemand, de deux officiers français, Paul THERY et Eric BEUTOM et leur exécution.
Nous avons demandé à Fernand TAILLARD, qui fut témoin et l'un des acteurs du draine, de bien vouloir nous en conter les péripéties qui aboutirent si tragiquement. Le récit de Fernand TAILLARD est le seul authentique de l'arrestation et de l'assassinat de deux officiers patriotes dont le seul crime avait été de vouloir se soustraire à une infamante captivité.
Par la même occasion, Fernand TAILLARD nous a bien précisé que sa relation des faits coupait court à toutes les rumeurs et à toutes les insinuations qui ont couru à l'époque.

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Un avocat et un ingénieur.

Le 30 septembre 1914, les allemands s'emparaient de la ville de Douai, des éléments du 5ème Régiment d'infanterie territorial se trouvaient alors dans le parc du Barlet et, plutôt que de risquer la captivité, avaient préféré jeter leurs armes pour tenter de regagner les lignes Françaises, sinon leur ville ou leur village natal.

Parmi eux se trouvaient le Lieutenant Paul Thery du cadre de réserve, dans le civil avocat à la cours d'appel de Douai, donc connaissant bien la région et le Lieutenant Eric Beutom, lui aussi du cadre de réserve, ingénieur à Paris.

Les deux hommes se cachaient pendant un certain temps chez des amis de l'avocat. C'est là qu'ils firent connaissance d'une jeune fille de 25 ans Louise Taillard, employée chez ces amis et dont les parents habitaient 6 rue de Dourges, (rue Léon Pruvot) à Hénin.
De concert avec cette jeune fille, Paul Thery et Eric Beutom prirent des dispositions pour quitter subrepticement Douai afin de gagner les lignes francaises.

L'itinéraire choisi les faisait passer par Hénin où ils savaient trouver le gîte et le couvert, en attendant de poursuivre la route pour mener à bien leur projet initial. Usant de précautions de Sioux, les deux lieutenants, en vêtement civils, parvinrent à Hénin le 2 janvier 1915 au soir, et se glissèrent sans être vu, chez Emmanuel Taillard.

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Le lendemain, le Maire Léon PRUVOT était mis au courant et prit des mesures pour que les fugitifs soient ravitaillés. Et pendant 48 Heures, THERY et BEUTOM vécurent clandestinement chez les TAILLARD sous la vigilante protection de toute la famille composée du père, de la mère, Marie-Louise, de leur fille, Louise, déjà citée et de leur fils, Fernand, âgé de 17 ans.

Le 5 Janvier au matin, déguisés en femmes grâce à des vêtements fournis et ajustés par Marie-Louise TAILLARD et sa fille, THERY et BEUTOM quittaient le 6 de la Rue de Dourges et, conduits par Louise, prenaient la route en direction de Leforest.

Hélas ! Au passage à niveau d'Evin-Malmaison, le trio était intercepté par une sentinelle Allemande. C'était la fin de l'aventure, tout au moins l'avant-dernier acte. Quelques heures plus tard, tous trois étaient ramenés à Hénin sous bonne escorte.

Paul THERY était enfermé au Commissariat de Police, à la Mairie. Eric BEUTOM et Louise TAILLARD étaient incarcérés dans les locaux de l'école des Filles de l'Asile, Rue des Anges (Rue J.J. Rousseau).. Aussitôt, leur interrogatoire commençait et aussi bien la jeune fille que les deux hommes furent traités avec la plus extrême brutalité. Nous étions le Mardi 5 Janvier 1915.

Dans la nuit du 5 au 6 Janvier, la maison TAILLARD était cernée par une compagnie de soldats Allemands et ses occupants, les parents et le fils, emmenés à l'école de la Rue des Anges. Ils furent également soumis à un brutal interrogatoire. Dans la matinée du 6 les six personnages du drame étaient déférés devant le Tribunal Militaire, présidé par le Général commandant les troupes du secteur. L'affaire ne traina pas. En quelques minutes tous furent condamnés à mort, les deux officiers pour espionnage, les membres de la famille TAILLARD pour complicité.

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Le soir même, les condamnés comparaissaient une nouvelle fois devant le Conseil de Guerre qui confirmait la sentence contre THERY et BEUTOM, mais commuait les peines des TAILLARD : Marie-Louise et Louise étaient condamnées à 10 ans de forteresse ; le père écopa de 18 mois de détention et fut interné à Douai. Le jeune Fernand, n'ayant cessé de protester de son ignorance de toute l'affaire, fut remis en liberté le 7 Janvier à 10 Heures du matin, sans ménagement.

Ils TOMBENT SOUS les BALLES en CRIANT "VIVE la FRANCE"

Les deux officiers patriotes passèrent leur dernière nuit dans les locaux du commissariat de police,

en la maison communale (située rappelons-le, à l'emplacement actuel des "Chaussures BATA", de la charcuterie et du Café "Au Progrès). Sévèrement gardés, ils ne firent toutefois l'objet d'aucun sévices de la part de leurs gardiens. Mieux même, certains ne cachèrent pas leur émotion et leur réprobation. Paul THERY et Eric BEUTOM, qui parlaient parfaitement l'allemand, purent s'entretenir avec eux.

Le jeudi matin, à leur réveil, les deux courageux officiers apprirent qui1s allaient être exécutés dans la matinée. En effet, vers 8 Heures, ils étaient extraits de leur prison et montaient dans un fiacre attelé de deux chevaux. La population avait reçu l'ordre de ne pas se manifester et c'est dans une ville déserte (sauf les troupes mises en place pour la circonstance) que le fiacre des condamnés gagna le lieu du supplice, situé Rue du Halage (Rue Parmentier), devant le mur de la Ferme DEPREZ, derrière les jardins de la propriété GRUYELLE. A l'époque, le Boulevard Victor Hugo n'existait pas. Cette portion du territoire communal, comprise entre l'entrée dudit boulevard, face à la bijouterie, et la voie actuelle baptisée Maréchal Leclerc, était occupée par les jardins GRUYELLE, lesquels étaient ceints d'une clôture en bois. Pour permettre le passage du sinistre cortège, la palissade, face à la bijouterie, avait été enlevée.

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Arrivés là, les chevaux qui tiraient le fiacre se cabrèrent et refusèrent obstinément d'avancer, il fallut l'intervention de plusieurs hommes pour les calmer et l'un des soldats dut les maintenir par le mors pour les amener jusqu'au lieu de l'exécution.

Là, un peloton de douze hommes, commandés par un officier, attendait, l'arme au pied. Une fosse avait été creusée. Les deux condamnés descendirent de la calèche et se placèrent devant cette fosse, face au peloton. L'officier donna lecture de la sentence de mort que les deux héros écoutèrent stoïquement, les bras croisés. Un commandement guttural retentit, un sous-officier s'avança pour bander les yeux des condamnés qui refusèrent. Ils demandèrent à commander eux-mêmes le feu. Ce leur fut refusé. Alors Paul THERY et Eric BEUTOM s'étreignirent longuement. L'officier ayant tiré et brandi son sabre, l'abaissa en hurlant : "Feuer". THERY et BEUTOM tombèrent en criant "Vive la France". Les corps, percés de balles, roulèrent dans la fosse après que l'officier prussien leur eut donné le coup de grâce.

Cependant, deux soldats du peloton d'exécution avaient refusé de participer à cet assassinat. Au lieu de viser les condamnés, ils tirèrent légèrement au-dessus d'eux. Cela fut remarqué par l'officier qui commandait le peloton, la balle que chacun avait tirée avait fait un impact sur le mur de la ferme. Démasqués, les deux soldats furent immédiatement envoyés sur le front.

Après la guerre Louise TAILLARD, employée au Ministère des Affaires Culturelles fut nommée Chevalier de la Légion d'Honneur.


Sources Bibliographiques :

Extrait du fascicule de Julien et Henri Slingart, Sous la Botte Allemande / 3 octobre 1914 - 27 et 28 avril 1917 / Février 1981, n° 2